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Bigre ! Un demi-siècle !... Je déteste regarder dans le passé, mais là c’est un chiffre carrément rond. Alors je vais juste jeter un regard furtif dans le rétroviseur et vite repartir de l’avant « Rien n’est jamais acquis » tel a toujours été ma devise.
“ A long time ago in a galaxy far, far away.”
Creutzwald, le bac à sable. L’Eldorado Lorrain a regroupé les familles d’ouvriers de multiples ethnies, tous dans la même cité, tous dans la même boîte, la boîte de Smarties. Les Jedis n’existent pas encore, mais il y a un cow-boy, des indiens, des bons, des méchants et des princesses qui aiment jouer au docteur, ay Caramba !
L’été, on part dans le sud à six dans la SIMCA 1000, deux jours d’expédition pour rejoindre Albi et la Rachoune.
La grande faucheuse décime la tribu. Terrassé, je pars deux années en prison chez les curés dans une ville sur la lune. J’apprends à marcher seul debout malgré la contrainte des soutanes agenouistes.
Martine se marie. La contre partie du malheur nous a installé dans notre maison à Ham sous Varsberg, où je suis le tenancier d’une boite de jours et de nuits qu’on appelle Boum. C’est le top du pelotage de nichon, le meilleur rancard du puceau du secteur.
Sur nos 103 Davidson, on sillonnent la région, on croque du bitume, on dévore nos seventies sauce Bruce Lee, peu fréquentable nous sommes.
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L’été avec le reste de la tribu, on part en Espagne, déjà Rosas.
Le flower power remplit nos têtes de rêves rose et mauve, d’amour et d’eau fraîche. On écoute du rock and roll sur de rares vinyles. On joue de la guitare rebelle. On boit beaucoup de bières autour du baby Bonzini, on va aux concerts de Frank Zappa.
L’été, on part en auto stop. La France de long en large, le real road movies, les hippies c’est bien pour le sexe, le vrai enfin.
Annick se marie. Je n’ai jamais aimé l’école ni les profs, alors je suis allé bosser. C’est pire, bien pire. Avant que la grande roue ne me broie, c’est dans un ultime sursaut que je reprends un semblant d’étude. A Metz dans la grande ville, les Beaux Arts . Etudiant, La bohème désargenté, dandy excentrique, poète désinvolte, bon à rien et mauvais à tout, maître du baratin, roi du squat. L’hiver on se glisse dans le lit des jolies jeunes filles riches.
L’été on est toujours entre leurs cuisses.
Le dessin, la gravure, la sculpture, la photo, le cinéma, on filme nos vies en 16 millimètres. Nos copines posent à poils, tout le monde est à poils, Hooo !.. yesss !.. C’est balaise la grosse bombe du genre expérimental. On sait donner dans la provoc, on maîtrise le registre avec talent, on s’expose, on se donne en spectacle, on joue à qui pète le plus haut, c’est bon, on est jeune et beau, FUCK OFF !..
L’été, je travaille pour survivre.
Dominique se marie. Les études finies et les poches vides, je vais voir Paris … cool dans le lit d’une jolie jeune fille passionnée. C’est top la capital mais trop chéro, c’est la schlague !
Panam, c’est le grand Barnum tout le monde est là. Les copains, les artistes délurés, certains en progression, d’autres en perdition, les amis d’enfance devenus blaireaux, bandits ou assassins, des nouvelles rencontres, des érudits, des anarchistes, des trous du cul. C’est la galère sans les rames.
Une fois de plus, je reprends les études en capitulant avec l’éducation nationale. A l’Ecole Normale, on me raque pour faire semblant d’apprendre ce que je sais ; j’ai déjà bossé pour eux, quand la couche de merde sur la tartine était plus épaisse. Et là étudiant, célibataire, du fric plein les poches et Paris… Paris tant désiré qui enfin veut bien se faire trousser dignement. Je signe pour réaliser tout ce qui mérite d’être vécu et qui figure toujours dans la colonne débit. J’exécute toutes les cabrioles possible, l’ensemble des figures imaginables, les imposées ainsi que les non référencées, souvent avec panache. Cette fois, la roue tourne dans le bon sens et je suis dessus. Yes !… Chaud bouillant.
L’été, je cumule, je bosse encore, jeune au dent longue, tout en accélération.
Je cours plusieurs lièvres à la fois, je me prends les pied dans le tapis. Je repars des fois en boitant, mais toujours droit devant.
Un jour, surprise, cadeau, l’impossible jeune fille qui se glisse dans ton lit et rend ta vie plus jolie. Celle avec qui on choisit de faire la route ensemble, celle qu’on aime vraiment et qui t’offre le plus beau des cadeaux, Wouah ! Je suis Papa d’une toute petite fille Chloé, ça te change en Homme. Le gris de la mégapole nous asphyxie, on rêve d’oxygène vert.
L’été, on part jouer les Robinson perdus dans la nature.
On se marie. On liquide l’ensemble de nos affaires, le présent, le passé et les battons merdeux et on hisse la grand voile droit devant vers l’horizon ensoleillé cap sud, sud ouest dans une maison, notre première maison au pays de belle des champs. Wouah ! Je suis Papa une deuxième fois, un p’tit gars Lucas, le choix du roi. Hey! Barraca.
Merci Véronique. C’est énorme, la grande roue tourne magnifiquement bien, tu es ma princesse, tu me fais aimer la vie, je t’aime, je vous aime.
L’été, la famille se regroupe à Rosas, ma mère, mes sœurs, les petits cousins, la p’tite cousine.
Humm, c’est bon de souffler. Ollé ! Sangria…
On s’épanouit, on déroule cool, les enfants grandissent, on assure comme des bêtes. On est devenu des pros, plus rien n’est laissé au hasard, on fait au mieux. On gère même les galères, l’école, les poux, les toubibs, les anniversaires, les beaux parents, la kermesse, le spectacle de danse, les devoirs, la liste des courses, la vidange de la voiture, la commande à la CAMIF. On n’a rien oublié, on a même adopté un chien et un chat à qui on raconte des histoires avant de s’endormir.
Au boulot, à St Go, ça gaz un petit lycée plaisant calme et sympa sur le pied mont pyrénéen, 400 padawans. Là aussi, je gère la fougère « gare à vous, tête au carré, silence c’est moi qui parle ! » Je suis devenu un Hussard noir à mon insu. Le système a eu raison de moi, le rebelle traverse dans les clous. J’ai épousé la cause. Je prêche pour la chapelle des arts appliqués, je défends le bout de gras, je me suis totalement vendu.
L’été, Véronique nous fait redécouvrir Rosas et l’Espagne pure Tapas Ollé.
C’est un jour de fêtes qu’on emménage à Ardiège (250 ploucs). La nuit on entend la musique parfaite de la grand roue qui tourne. Nous sommes serein, capable de surfer n’importe quelle vague. Les enfants grandissent, on escalade la montagne et dévale les pentes. De la neige en hiver, du soleil le reste du temps enfin presque… La maison est remplie du rire des enfants. Cà sent le feu de bois, la châtaigne et la tarte aux pommes.
La grande faucheuse est repassée par là. La trajectoire n’est plus la même. Forcé de ramasser le bâton de pèlerin et d’éclairer la route en patriarche. Je sais déjà depuis longtemps que c’est l’absence qui sera le plus difficile.
L’été le soleil brille toujours plus à Rosas.
On achète un morceau de la planète bleu et je me mets à retaper la ruine qui est dessus, un long labeur sacrificiel, il faut tout apprendre. Je mue successivement en esclave maçon, ouvrier charpentier, plâtrier spécialisé… Que des boulots merdiques, je jette l’éponge avec les burins, les truelles, et les spatules avant qu’on soit fini la maison et moi. Ouf !...
Véronique jardine, Lucas construit des cabanes dans les bois, je chasse les premiers scooters qui tournent déjà autour de Chloé. Allez ouste !… La ferme ronronne.
L’été pour voyager plus loin, on traverse l’océan.
La grande roue tourne toujours aussi bien, j’aurais aimer qu’elle marque une pose à ce sommet. Mais inexorablement, elle nous propulse sur le toboggan de la vie. Les enfants n’en sont plus. La maison est devenue un hôtel et moi un distributeur de billets de banque.
Avec Véronique, c’est la reconquête, le grand looping, on se réinvente, on fait de nouveau projet. On se surprend, çà sent bon le bonus !
L’été à Rosas, on croise nos mômes qui rentrent se coucher au petit matin. J’adore l’Espagne. Hey Mojito !
Aujourd’hui, j’ai 50 ans…
J’ai encore faim, j’ai pas usé tous mes crocs. Je vais secouer le cocotier, taper dans la fourmilière, pousser le wagon et croquer dans les délicieux gâteaux d’Eros, Bacchus et Epicure. C’est la meilleur recette épicée que je connaisse, l’unique carburant pour faire tourner la grande roue. Je poursuis l’aventure mon sabre laser entre les dents, droit devant « Rien n’est jamais acquis ».
Mais aujourd’hui, j’ai 50 ans… The show must go on…
Et quoi que j’en dise çà me fait bien mal au cul !... Bien mal au cul !.. Bien mal au cul !… Bien m…
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